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IA: les compétences approchent à grande vitesse


Le TGV de 6h12 n’est pas forcément celui que je préfère, un peu plus de temps de sommeil serait appréciable ! Mais depuis quelques jours, le lever du jour accompagne le début du trajet pour le plus grand plaisir des passagers. Depuis mon retour en France, je ne me lasse pas de mes trajets en train. C’est toujours une joie de traverser le pays à grande vitesse. Les paysages défilent à une allure époustouflante, les champs de blé se mêlent à nos belles forêts et aux horizons citadins.


Ce matin, comme c’est devenu une habitude, une grosse session d’ECOS est prévue sur la plateforme Theia. Les ingénieurs pédagogiques de l’Université partenaire orchestrent minutieusement l’exercice, tandis que Gautier et moi-même gardons un œil sur le tableau de bord. Avec 800 étudiants et 150 CCA, la tâche est de taille.


En parallèle, j’écoute la matinale, un allongé à la main. Le sujet du jour est chatgpt, quelle surprise ! Les théories foisonnent, mais les incertitudes persistent. Les controverses et les débats autour de son application dans l’éducation et l’évaluation font déjà rage. Cependant, ce matin, une pensée me traverse l’esprit : si un exercice devait être à l’abri de la menace, ce serait bien les ECOS !


La réforme du deuxième cycle des études médicales apparait à ce jour la mise en œuvre universitaire la plus aboutie du principe pédagogique d’approche par compétences. Et les ECOS en sont l’illustration la plus marquante.

Envisagée et désirée depuis un moment, elle préfigurait l’aube d’une révolution où l’émergence de l’Intelligence Artificielle remet en question les fondements de l’enseignement et de l’évaluation.


À l’image d’un TGV traversant des paysages en perpétuelle métamorphose, l’université s’achemine aujourd’hui sur des voies nouvelles, vers un paysage éducatif inédit, où l’approche par compétences semble être le chemin du futur.


Faut-il généraliser l’approche par compétences dans l’enseignement supérieur ?

Avec la montée de l’Intelligence Artificielle, les évaluations des performances des apprenants sont questionnées. Sont-elles encore fiables alors même qu’un agent conversationnel à la portée de tous, comme ChatGPT4, est capable de répondre à plus de 90% des questions posées à un examen de médecine aux États-Unis ? Les universités et autres établissements de l’enseignement supérieur sont confrontés à une sévère remise en cause des modalités d’examens. De leur côté, les étudiants doivent se préparer à développer d’autres compétences qu’un apprentissage circonscrit à la restitution de connaissances. Le monde change, les compétences pour l’appréhender aussi.


Aussi, l’approche par compétences, trouve-t-elle un écho renouvelé et favorable. Avec les outils nourris à l’intelligence artificielle, il devient essentiel de se focaliser sur l’évaluation des compétences pratiques et les capacités à résoudre des problèmes complexes et transverses plutôt que de juger de la bonne mémorisation des informations utiles. Le savoir s’est déjà transformé en savoir-faire. Ou, pour le dire autrement, nous revenons à ce qui faisait autrefois la différence : l’excellence dans la mobilisation de compétences diverses au service d’un meilleur résultat. 


De quelles compétences parlons-nous alors, à l’aube de cette nouvelle révolution technologique ?

Car si le savoir était le cœur même des définitions, il est désormais traduit en connaissance et en compétence :

  • Savoir = Connaissance

  • Savoir-faire = Compétence opérationnelle

  • Savoir-être = Compétence comportementale


Si nous savons depuis longtemps évaluer les connaissances, nous sommes en pleine exploration des modalités d’évaluation des compétences. Le sujet est plus délicat, et nécessite un changement de posture pour les enseignants et les établissements qui les emploient. Il s’agit de changer de perspective, afin de s’intéresser tout autant à̀ ce que l’étudiant sait qu’à ce qu’il sait faire et comment il le fait. Évaluer la compétence c’est « porter un jugement qualitatif sur la capacité de l’étudiant à se servir de ses savoirs et autres ressources de façon pertinente pour traiter une situation complexe ».[1]

Si de nombreux travaux sur la question de l’approche par compétences ont été produits depuis le début de ce siècle, ils font tous référence à la mesure en continue de la progression comme une clé majeure de succès. Il n’est plus question d’avoir une vision statique du processus d’apprentissage ni de sa restitution, mais bien au contraire de faire progresser l’apprenant au fil des évaluations. Mesure de la compréhension réelle de l’apprenant, orientation de la pédagogie pour combler des lacunes ou mettre en valeur des points forts, validation des programmes de formation, sont autant de possibilités offertes par l’approche par compétences. Néanmoins, ce qui garantit son efficacité pour les publics concernés par la transmission, c’est la possibilité d’évaluer correctement les progrès réalisés.

Il est important de noter que l’évaluation des compétences ne se limite pas aux évaluations traditionnelles sous forme de tests écrits. Elle peut également inclure des évaluations pratiques, des projets, des présentations, des travaux de groupe, etc., afin de fournir une évaluation plus holistique des compétences des étudiants.


« La formation axée sur le développement des compétences est sans contredit l’une des orientations privilégiées à l’heure actuelle dans le domaine de l’enseignement. Toutefois, une grande variété de programmes se réclament de cette approche, illustrant l’absence de consensus dans la définition du concept de compétences. Par ailleurs, il est capital, dans le choix de modalités d’évaluation des compétences, d’opter pour des pratiques qui rendent véritablement compte de la progression des apprentissages réalisés. »[2]


C’est sans aucun doute pour cette raison que la rétroaction constructive émerge comme une solution à la fois plus douce et plus équitable. En effet, la rétroaction constructive vise à fournir des informations utiles et spécifiques qui peuvent être utilisées pour apporter des améliorations tangibles.


C’est donc une pratique devenue courante pour de nombreux professeurs d’université. Les enseignants l’utilisent régulièrement pour fournir des commentaires aux étudiants sur leurs performances académiques, leurs travaux de recherche, leurs projets ou leurs présentations.

En règle générale, on peut constater que la rétroaction constructive donne de bons résultats, notamment parce qu’elle est basée sur l’observation factuelle, mais aussi parce qu’elle peut être plus spécifique, orientée vers l’action, en mettant l’accent sur des mesures correctives et en incluant des conseils et recommandations. Elle exige une posture de dialogue ouvert dans le respect et la bienveillance, ce qui favorise la transmission des savoirs et des savoir-faire.


Pour autant, l’évaluation des compétences posent encore de nombreuses questions. Notamment autour de la portabilité des critères, la garantie d’une équité dans le retour critique et l’accompagnement vers le progrès. Ainsi par exemple, on discutera de comment construire des situations d’évaluations authentiques mobilisant des compétences de haut niveau, cohérentes avec un apprentissage en profondeur ? Ou encore comment concevoir et utiliser collégialement des critères et indicateurs d’évaluation à partir d’objectifs clairement explicités ?


L’intelligence Artificielle peut-elle remettre en question l’approche par compétence ou, au contraire, en renforcer la pertinence et l’efficacité ?

Dans un premier temps, force est de reconnaitre que l’humain va devoir, une fois de plus, évoluer et s’adapter à de nouveaux outils. Pour commencer, il lui faudra s’éduquer à l’IA. Ce que certains appellent le « littérisme numérique » pour désigner le couplage de notre capacité à comprendre un langage et de celle qui nous permet de compter, voire de coder ce langage, dans un monde numérique dominé par les machines. Or si faire la conversation avec ChatGPT, est une nouvelle compétence illustrant ce littérisme numérique, ce que nous entrevoyons immédiatement, est qu’il doit être assorti d’un renforcement de notre esprit critique.


Cette arrivée rapide et croissante des outils numériques dotés d’intelligence artificielle souligne également le besoin essentiel d’une revalorisation des « compétences humaines ». Notre capacité unique d’humain à nous connecter, à nous comprendre sans échanger un mot, à faire preuve constante de créativité, de volonté d’innover, de surprendre, de rire aussi, sont des atouts à développer tant pour soi que pour les entreprises dans lesquelles travailleront les étudiants d’aujourd’hui. Les compétences douces vont prendre une place plus importante dans les évaluations, y compris dans le monde universitaire.

Enfin, un troisième élément de changement profond est inspiré par la diversité et la complexité des compétences qui seront attendues de chacun, dès lors que son parcours professionnel deviendra plus diversifié et plus instable en même temps. Apprendre aujourd’hui ce qui sera indispensable demain, est techniquement peu utile, tant les métiers, les savoir-faire vont être impactés de plus en plus vite par l’essor des technologies numériques. Il faudra donc apprendre tout le temps, tout au long de la vie. Et ceci nous conduira à apprendre à apprendre, d’une autre manière. Adopter et mobiliser de nouvelles compétences, pour mieux s’adapter, sont des apprentissages orientés sur un état d’esprit, une ouverture au monde, une volonté de travailler en intelligence collective, qui font déjà la différence.


Il appartient alors aux enseignants d’adapter leurs méthodes d’évaluation. Si l’on revient sur l’exemple de la médecine, il est clair que les attentes vont évoluer de la restitution des connaissances vers la maitrise des gestes et la capacité à comprendre le patient dans un contexte, Pour ce qui est des aptitudes habituelles du médecin d’hier, les choses vont, à l’évidence bouger très fortement. Ainsi, dans un article récent, des chercheurs américains ont publié des résultats assez remarquables. Ils ont demandé « à l’IA de rédiger de toutes pièces 50 résumés de recherche médicale à partir d’une sélection de résumés déjà publiés dans des revues scientifiques prestigieuses. Les chercheurs ont ensuite comparé les résumés produits par l’IA aux résumés originaux, en les soumettant à un détecteur de plagiat et à un détecteur de contenus d’IA. Ils ont aussi demandé à un groupe de chercheurs de repérer parmi les résumés ceux qui étaient authentiques et ceux qui avaient été générés de façon automatique. Résultat : aucun plagiat n’a été détecté. De plus, si le détecteur d’IA n’a repéré que 66 % des résumés générés, les chercheurs n’ont pas fait beaucoup mieux en n’identifiant correctement que 68 % des résumés générés. » [3]


Ce qui pose à la fois la question de la crédibilité des sources, de leur véracité et surtout, des moyens donnés aux médecins de s’appuyer sur des connaissances à la rigueur scientifique incontestable. Et les diagnostics basés sur l’analyse d’indicateurs et de statistiques, en plus de l’expérience acquise par le médecin, sont déjà challengés par ceux qu’une IA peut établir. Là encore, il faudra concentrer les évaluations sur d’autres critères que la restitution de connaissances et prendre en compte le facteur humain. Evaluer correctement l’humain pour le distinguer utilement de la machine est une belle ambition.


Heureusement, le numérique, mais aussi l’intelligence artificielle, vont nous permettre de progresser dans les moyens d’évaluer. C’est déjà le cas et cela rendra l’évaluation à la fois plus précise et plus équitable, pour la satisfaction de tous les acteurs de l’enseignement supérieur.


[1] Université de Lorraine : Echo pédagogique #6 – 2018

[2]  L’évaluation des compétences : documenter le parcours de développement de Jacques Tardif Montréal 2006

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