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Comment évaluer la pensée informatique ?


Lorsqu’on évoque les métiers du futur, la conversation prend directement le chemin du numérique. Tout est et sera encore impulsé par notre passage à une ère du digital. Nos expériences se digitalisent, nos conversations aussi et en conséquence nos métiers également. Le très sérieux Courrier International, publiait récemment un classement des 10 métiers de demain dans lequel figuraient aux deux premières places : hacker (dans une version positive) et créateur d’univers virtuel. D’après ce media et le futurologue Tristan Hors, les entreprises vont continuer à développer le marché de la sécurité informatique et emploieront davantage de hackers pour se protéger. Le débat est plus contrasté encore, lorsqu’il s’agit d’évoquer les mondes virtuels, mais il n’y a guère de doute que ces univers déjà familiers aux gamers, seront prochainement investis par les marques commerciales.

Alors après 20 ans de développement des usages du numérique, y compris dans le monde de l’éducation, quels sont les moyens d’évaluer les apprentissages et leur impact sur les manières de penser des jeunes ou moins jeunes générations ?


Avant tout, il convient de définir ce que signifie concrètement la pensée informatique. A l’origine, les travaux de Seymour Papert (publiés en 1981), explique qu’il s’agit de favoriser le développement d’une « pensée procédurale ». Plus tard, J.W Wing, définit cette pensée comme « l’activité mentale dans la formulation d’un problème pour admettre une solution informatique ». Il est convenu désormais de considérer que « l’enseignement de la pensée informatique est souvent associé à la nécessité d’une prise de recul critique par rapport au numérique et à l’utilisation quotidienne d’”objets numériques” (Bruillard, 2018) ». Dans ces différentes approches, il faut comprendre que l’on parle ben de pensée et non simplement d’exécution de suite de calculs ou de programmation dans un langage informatique. La pensée informatique met en œuvre plusieurs niveaux d’abstraction et permet de penser autrement pour la résolution de problèmes. Le monde devient un monde de réseaux construits sur l’accès et le partage de quantités énormes d’informations. Il se crée alors un lien étroit entre compréhension de la pensée informatique et culture informationnelle.


On en retiendra trois grandes activités qui impactent les compétences des apprenants :

  • Les algorithmes et le traitement automatisé des informations

  • Les interactions entre l’homme et la machine

  • Une approche collective et ouverte de l’intelligence et de la connaissance


Il est facile de comprendre alors que le triptyque de l’enseignement scolaire lire-écrire-compter subit une forte évolution dans un monde digitalisé. Aujourd’hui, la capacité à interagir avec des terminaux numériques ouvre des portes sur des savoirs et des savoir-faire d’une incroyable diversité, faisant appel à la créativité des apprenants mais aussi des enseignants. Toutefois, acquérir les bases de cette pensée informatique est crucial pour les élèves et les étudiants pour répondre à trois défis principaux : comprendre le fonctionnement du monde numérique, être à même d’évoluer dans cet univers de l’information partagée, et fort d’une capacité à résoudre le problème dans sa globalité, devenir suffisamment agile dans l’emploi de compétences transversales. Ces trois axes pourraient ainsi constituer le socle d’une évaluation des compétences selon les différents âges des apprenants.

Dans un papier plus récent (de la Higuera & Bocquet, 2020), les auteurs s’appuient sur le rapport Villani de 2018 pour établir les 5 pilliers de tout système d’éducation intégrant la pensée informatique. Car constatent-ils : “L’enseignement du codage et de la pensée informatique est fortement préconisé depuis 2012. De nombreux pays ont maintenant introduit le sujet. Apprendre à coder ne consiste pas seulement à acquérir une compétence technique : il s’agit de pouvoir tester ses propres idées au lieu de se contenter d’exécuter celles de quelqu’un d’autre. Et bien sûr, il y a une forte dose d’idées dans l’intelligence artificielle, ce qui signifie que savoir coder peut aider à utiliser l’IA de manière créative et à comprendre les questions et concepts sous-jacents.”


Il conviendrait alors d’évaluer cinq compétences ou aptitudes :

  1. La sensibilisation aux données

  2. L’acceptation de l’incertitude

  3. Le codage et la pensée informatique

  4. La pensée critique adaptée au monde numérique

  5. Compréhension de notre propre humanité face à l’IA


Où en sommes-nous aujourd’hui et quels sont les progrès constatés auprès des différentes classes d’âge en France ?


Dans un article signé par Kevin Sigavret, Nathalie Blanc et André Tricot, on rappellera en introduction que « Apprendre à programmer pourrait ainsi améliorer les aptitudes au raisonnement logique (Psycharis & Kallia, 2017) et avoir une influence positive sur certaines compétences dites de « haut niveau » (Popat & Starkey, 2019). » Et si tout le monde d’accorde à dire que l’apprentissage de la programmation et de la pensée informatique est très fortement attaché à la notion de compétence, on comprend alors que l’on évoque une évaluation des compétences et non plus de la connaissance. Le Ministère de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche ayant fixé comme définition d’une compétence : « l’aptitude à mobiliser des ressources (connaissances, capacités, attitudes) pour accomplir une tâche ou faire face à une situation complexe ou inédite ».


Or s’il semble clair qu’il faut évaluer ces compétences mais les méthodes et les outils proposés sont finalement très variés.


Ainsi par exemple, les auteurs ont examiné de nombreux travaux d’étude, et nous proposent quelques pistes explorées qui pourraient permettre d’établir un modèle d’évaluation :

  • Des échelles auto-évaluatives de mesure des capacités à créer ou comprendre un algorithme, à résoudre un problème et à faire preuve de créativité. La limite étant la maturité nécessaire à la pratique d’une auto-évaluation

  • Des outils d’analyse du code produit par un apprenant. Ici la question porte sur l’objectivité de l’analyse alors même que la compétence est très technique.

  • Evaluer des taches de résolution de problèmes. Dans ce cas, et à l’opposé de la proposition précédente, il s’agira de proposer différentes taches à l’apprenant et de mesurer sa capacité à les accomplir et à les enchaîner vers la résolution du problème : tester un morceau de programme, détecter une erreur de codage qui bloque l’exécution, valider un test du programme global, etc…


Certains chercheurs ont expérimenté des tests de l’apprentissage implicite de la pensée informatique, notamment en utilisant des jeux vidéo (sur des publics jeunes) et en enregistrant les données produites par les joueurs dans leur progression vers la solution finale du jeu. D’autres travaux mettent en évidence le nécessité de séparer la maitrise des concepts et la capacité à résoudre des problèmes. Ainsi se pose la question de l’utilité des évaluations pour l’enseignant qui dit s’appuyer sur elles pour valider son enseignement : « une évaluation distincte de ces deux aspects de l’apprentissage de la programmation permettrait à l’enseignant d’affiner son diagnostic quant aux éventuelles difficultés rencontrées par ses élèves. Ceux-ci maîtrisent-ils suffisamment les concepts fondamentaux utilisés en programmation ? Si c’est le cas, sont-ils capables de les appliquer dans un contexte pratique en utilisant les stratégies adéquates ? ».


Aujourd’hui, en France, les connaissances sont évaluées via le programme et la certification PIX pour les publics apprenants du secondaire puis du premier cycle de l’enseignement supérieur. Au niveau « adulte », il existe également un brevet spécifique : le B2I, brevet informatique et internet qui est « une attestation qui certifie la maîtrise de la compétence numérique ainsi que l’usage sûr et critique des technologies de la société de l’information ».

Ajoutons qu’il existe aussi un programme destiné à la formation des enseignants vers l’apprentissage de la pensée informatique, baptisé ClassCode (site classode.fr) et initié par l’INRIA. C’est un projet financé dans le cadre du PIA (Projet d’Investissement d’Avenir) qui regroupe une centaine de partenaires en France autour de MagicMakers, Canopé 06, des universités et des régions, par exemple.

Il reste beaucoup à faire pour accompagner les futures générations vers ce monde digitalisé. Organiser les compétences et les évaluer à chaque stade de l’apprentissage est un objectif ambitieux et nécessaire.


Sources :

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