Tous les voyageurs du TGV ont désormais en tête que la vitesse est un élément essentiel au calcul des forces et de l’énergie cinétique. Ils en rêvent lors de leurs micro-siestes ; ils attendent la voix du conducteur qui leur rappellera la formule : e=1/2mv2. Enfin presque tous, n’exagérons rien, me dis-je lorsque je constate que ma voisine est plongée dans le suspense d’un roman policier. C’est le moment que choisit mon autre voisin de carré pour me faire cette réflexion : « si seulement Parcours Sup était aussi performant que nos TGV, on gagnerait du temps, vous ne croyez pas ? ».
On a tout entendu sur cet outil numérique mis au service des bacheliers de France depuis quatre ans. Et ce n’est certainement pas terminé, s’il on en croit les déclarations des candidats à l’élection présidentielle de 2022, qui, pour la majorité d’entre eux, prônent son abolition.
Qu’en est-il réellement aujourd’hui ? Comment cet outil peut-il garantir l’équité et doit-il être amélioré dans le futur ?
Rappelons en préambule, que ce sont 17000 formations qui sont répertoriées dans Parcours Sup et présentées à plus d’un million de candidats (un chiffre en progression de 17% entre 2018 et 2020). Et si les bacheliers représentent 70% des candidats, ceux-ci sont aussi non-lycéens, ou étudiants en ré-orientation par exemple. Plus de 90% des bacheliers utilisent la plateforme pour leur orientation et pour se faire un chemin parmi les 868 000 places offertes chaque année dans l’enseignement supérieur.
Si la principale critique adressée à ce système propulsé par un algorithme est son manque de transparence, il faut noter qu’il est en perpétuel développement, et le demeure encore dans sa quatrième année. Dans le rapport du Comité d’Éthique et Scientifique de Parcoursup (CESP) de février 2021, on peut trouver quelques recommandations judicieuses qui devraient améliorer le fonctionnement et l’acceptation du dispositif.
Le principal reproche entendu, y compris de la bouche de mon voisin de voyage, c’est celui de la longueur du traitement, cumulé au fait qu’un peu moins de 10% des candidats restent sans réponse ou avec uniquement des réponses négatives, trois mois après le début des admissions (en juillet). Il y a logiquement une détresse et une incompréhension naturelles qui envahissent presque 90 000 candidats pendant l’été et leur laisse penser qu’ils sont les exclus du système. Outre que cela ne devrait pas durer trois mois, il semble inacceptable de ne pas leur trouver la moindre place dans nos établissements d’enseignement supérieur. Les candidats à la présidentielle ont nourri le débat en rejetant Parcours Sup, jugé « un système totalement inhumain » (Anne Hidalgo), « un Koh-Lanta de l’orientation » (Fabien Roussel), « une boîte noire » (Yannick Jadot), qui ne sert qu’à apprendre aux jeunes « à mentir en écrivant dix lettres de motivations différentes » (Jean-Luc Mélenchon), et qui « masque la pénurie de places dans les universités. » Valérie Pécresse réclame « plus de transparence dans l’algorithme », tandis qu’Emmanuel Macron promet « une évolution positive pour l’année prochaine ».
Alors pourquoi ce problème d’efficacité se transforme-t-il en sujet de campagne électoral ? Pourquoi rallie-t-il autant de détracteurs alors que le souci provient sans doute d’un manque de places disponibles et donc de choix pour les futurs étudiants ?
D’ailleurs, ce double sentiment négatif apparait dans une étude de l’institut IPSOS réalisée en septembre 2020 auprès des néo-bacheliers. Les candidats ont très majoritairement émis un avis positif sur la plateforme sauf sur deux points, qui concernent la transparence et l’équité́.
· 26 % des interrogés estiment la procédure peu transparente et 12 % pas du tout transparente.
· Le sentiment d’injustice prédomine : 27 % trouvent plutôt que la procédure ne traite pas tous les candidats de la même manière, et 23 % le trouvent tout à fait. Il s’agit de la seule question ne recueillant pas une majorité́ d’opinions favorables, sur la cinquantaine posées.
J’ai envie de répondre à mon voisin, que le TGV, lui non plus n’est pas à 100% fiable, tant il arrive qu’il soit retardé par un incident climatique ou une banale erreur d’aiguillage, voire une panne matérielle aussi rare qu’imprévisible. Le problème avec les algorithmes, c’est qu’ils sont impossibles à expliquer et à exposer aux yeux du public. Conçus pour traiter des quantités énormes d’informations, ils suivent des commandes logiques et exécutent des tâches à des vitesses extrêmes, rendant possible l’adéquation entre une demande parmi des millions et une offre parmi des milliers disponibles à un instant précis. Seule une machine est capable de traiter tout cela avec autant d’efficacité que de respect strict des règles édictées à l’avance. Mais le souci provient de la marge d’erreur, du nombre, peu élevé en apparence, de cas pour lesquels le système tourne dans le vide et ne fournit aucune solution. Ainsi si 69% des candidats, soit 651 800 lycéens et étudiants avaient obtenu une place dès le 17 juillet en 2020, il n’en reste pas moins que 89 400 n’avaient eu que des réponses négatives, les autres étant en attente pour la plupart jusqu’à fin septembre.
Or l’algorithme, la machine intelligente, est devenue dans l’esprit des gens, infaillible, imbattable, plus forte que l’Homme lorsqu’il s’agit de jouer aux échecs, au jeu de go, ou de prévoir le prochain film que nous aurons envie de regarder. Plus personne n’imagine que « la machine » ne puisse pas tout. Alors si ce n’est pas la machine, d’où vient le problème ?
D’après le rapport du CESP, plusieurs raisons peuvent être envisagées, dont je n’exposerais à mon voisin que l’essentiel : les critères et examens de vœux (CEV) des établissements d’enseignement supérieur (en lui précisant qu’ils ne sont pas les mêmes entre par exemple, les universités et les écoles de commerce), et la difficulté croissante à courir deux objectifs à la fois, celui du traitement équitable par la machine et la nécessité d’une diversité de candidatures pour garantir un contrat social.
En ce qui concerne les CEV, dans sa décision du 3 avril 2020, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il appartient à « chaque établissement de publier, à l’issue de la procédure nationale de préinscription et dans le respect de la vie privée des candidats, le cas échéant sous la forme d’un rapport, les critères en fonction desquels les candidatures ont été examinées et précisant, le cas échéant, dans quelle mesure des traitements algorithmiques ont été utilisés pour procéder à cet examen ».
On comprend alors que la transparence totale n’est pas encore pour demain. Reste à travailler sur l’équité de traitement des informations et du traitement de chaque candidat. Chez THEIA, c’est un axe majeur et une valeur clé de l’entreprise. Je m’efforce alors d’expliquer à mon co-voyageur d’un jour, les vertus d’un algorithme dès lors que son concepteur a cette vision éthique d’un problème à résoudre. Pas question de laisser passer le moindre biais dans le traitement des évaluations que nous proposons via notre plateforme. Il en va de la crédibilité des établissements avec lesquels nous travaillons, comme de celle des diplômes qu’ils délivrent aux étudiants. C’est une mission difficile mais passionnante que nous développons au quotidien en remettant en cause les acquis, en affinant les procédures et les calculs pour améliorer la précision de nos algorithmes. Comme il m’écoute attentivement, j’ai l’impression qu’il est apaisé par notre engagement.
Si l’algorithme de Parcours Sup peut et doit progresser, c’est surtout avec l’aide des humains qui lui fourniront des informations indiscutables, qui auront accepté de rendre public les critères de pré-classement de chacune des formations et bien entendu, des politiques qui décideront des moyens et du nombre de places disponibles pour les prochaines générations de bacheliers. On peut espérer que tout le monde fera le maximum pour satisfaire l’attente de chaque étudiant en devenir : trouver sa place dans l’enseignement supérieur et sa voie pour exprimer ses talents dans le monde professionnel.
Pour le reste, il faut tout de même souligner que le nombre d’étudiants qui valident leur accès en deuxième année de licence, a augmenté de plusieurs points de pourcentage depuis la mise en place de Parcours Sup, démontrant ainsi la pertinence augmentée des choix proposés aux néo-bacheliers.
J’ai beau déployer mon argumentation, je sens bien que mon interlocuteur demeure encore sceptique face à mes explications. J’ai beau le rassurer sur la volonté partagée par tous d’améliorer performances et équité, je ne peux lui garantir le zéro défaut. Pas plus qu’il ne peut être certain qu’il ne sera jamais en retard en prenant son TGV. Pourtant, il est clair pour nous deux que le voyage d’aujourd’hui est à la fois beaucoup plus rapide et beaucoup plus sûr que celui d’hier, de ce temps où les machines étaient moins performantes. Nous n’avons aucune envie de revenir en arrière.
L’avenir de Parcours Sup sera fixé par le prochain Président de la République. Pourra-t-il devenir un outil équitable pour notre système d’éducation ? Sera-t-il plus performant et moins contesté demain ?